Mise à jour: cf fin d’article.
Les publicités de centrales d’enseignement privées font beaucoup de bruit ces jours-ci. Certaines vidéos sont très amusantes grâce à l’inventivité des publicistes, comme les pubs télévisées d’Acadomia dont le slogan est « Ils ont tout pour réussir » ( avec ce pronom personnel devenant indéfini puisque désignant à la fois les élèves , qui ont des capacités inexploitées, et leurs enseignants, qui sont capables, eux, de mettre ces dernières en valeur parce qu’ils seraient parfaits puisque privés!????)
Dans les publicités télévisées d’Acadomia nous rions volontiers en regardant le jeune acteur qui écoute une explication de mathématiques avec un regard d’incompréhension totale. Il entend le camarade doué se moquer d’un troisième larron « qui n’a rien compris, lui! ». Son faux air de connivence remplit alors le spectateur de contentement, puisque ce dernier (ou cette dernière) a tout perçu correctement… grâce aux jeux de scène!
Nous nous esclaffons encore plus au moment où un jeune homme reproche à un autre lycéen son ignorance de Goethe, nom qu’il prononce « Goëte », prouvant ainsi qu’il n’en pas de réelle connaissance alors même qu’il se moque de son intelocuteur en l’accusant d’ignorance. C’est l’arroseur arrosé.
Toutes les publicités me réjouissent ou me touchent en général. Sensible à cette puissance imaginative dont elles témoignent, je suis bon public. Mais me voici blessée par un récent message publicitaire déjà entendu des centaines de fois : « Vous y trouverez des enseignants compétents et bienveillants »!!!!
Comment ce terme peut-il être devenu un argument de vente? Comment peut-on imaginer que les enseignants habituels d’un élève français ne soient pas bienveillants? Leur unique objectif étant d’obtenir que l’élève apprenne, se cultive, s’améliore, progresse, comment peut-on croire qu’ils effectuent leur mission avec malignité?
Me voici encore une fois désolée par cette idée qui s’est répandue ces dernières années selon laquelle les remarques, les corrections et les jugements de l’enseignant ou même ses cris en cours auraient d’autres finalités que de permettre à l’apprenant de percevoir ses erreurs et de s’améliorer. Des gens se sont mis à croire que l’enseignant avait un quelconque autre but que pousser ses élèves à apprendre. Les consignes, dans les textes accompagnant les programmes,ont été de « ne pas tout corriger », « ne pas reprendre systématiquement les erreurs sans pour autant laisser passer les erreurs » complexifiant notre tâche! Les notes sont devenues des compétences à acquérir, les ronds de couleur ont remplacé les chiffres… Que de temps passé à couper les cheveux en quatre! Des parents se sont plaints de cours « ennuyeux », ont décidé de la valeur pédagogique de telle ou telle lecture obligatoire, ont cru sur parole « les camarades de leur enfant » pour savoir ce qui s’était dit en cours… J’en ai même entendu un me reprocher d’avoir (la seule fois où je l’ai fait) confisqué un téléphone portable parce que le garçon regardait des vidéos pendant que je lui parlais… et plus d’une fois l’enfant a compris pile le contraire de ce que je lui disais, générant une rancoeur dans le coeur de ses parents, blessés pour rien, par un malentendu créé de toute pièce après coup, sans aucune raison d’être! Fort heureusement, une majorité d’élèves a suivi le cours et compris mes explications, entendu mon enseignement et même beaucoup m’en ont remerciée, sur le coup ou longtemps après (ce qui fait toujours plaisir bien que nous n’agissions pas dans ce but).
J’espère que toutes ces copies, ces milliers de copies, dans lesquelles j’ai mis du rouge partout… puis du rose, puis du marron puis du bleu ou du noir au fil des ans (Il fallait ne pas choquer l’élève retrouvant sa copie zébrée et je voulais vraiment tenir compte de l’évolution du métier et des recommandations des inspecteurs) pour montrer précisément quel mot devait être corrigé, remplacé et surtout pourquoi il ne convenait pas, j’espère qu’elles ont servi peu ou prou… Je voulais que toutes ces corrections persuadassent les enfants attachés à comprendre mes propos et mes intentions (ne considérons que ceux-ci car les autres démontraient une autre volonté, ce désir de trouver des défauts à tout prix dans l’adulte qui leur imposait un apprentissage ou le refus d’un effort personnel.) donc que toutes ces corrections de copies, ces remontrances les convainquissent de l’objectif poursuivi … même et surtout lorsque je m’emportais, étant un individu impulsif et passionné. Chaque fois que j’ai constaté la peine ressentie par un élève trop sensible ou pas assez réfléchi, chaque fois que j’en ai été informée, je me suis, le plus vite possible et de mon mieux, reprise, excusée, expliquée afin de bien lui démontrer la nature positive de mes intentions. M’excuser ne m’a jamais été difficile et, en 40 ans, j’ai bien peu rédigé de rapports d’incidents, bien peu expulsé d’enfant de ma salle, bien peu puni. Préférer argumenter, réexpliquer, répéter, reprendre le chemin emprunté pour en prouver le caractère pédagogique n’est pas de la faiblesse mais justement de la bienveillance , celle qui est demeurée ancrée en moi comme elle l’est dans l’esprit de tout enseignant, de tout pédagogue.
Certes il m’est arrivé très souvent de rater mon but, de me tromper aussi et tellement plus souvent que je l’aurais souhaité… trop souvent… Vouloir n’est malheureusment pas toujours pouvoir! Mais je demeure persuadée qu’on est enseignant parce qu’on est foncièrement bienveillant. Dans ce blog nous avons toujours eu à coeur de mettre les élèves en valeur.
Conclusion: Si vous constatez quelque faute, quelque erreur dans ce post, ayez la bienveillance de me le signaler en commentaire, s’il vous plaît! 🙂
Mise à jour du 23 février 2022:
Un ancien élève me signale une erreur : je serais à l’origine de tous ses échecs par son passage dans mes cours. Il n’a pas perçu de bienveillance mais au contraire de la méchanceté… Ses accusations sont extrêmes et sans appel.
Nous avons au moins une cinquantaine de professeurs au long de nos études et surtout : des parents ainsi que d’autres référents adultes pour nous former dans la vie. Moi-même j’ai longtemps souffert des paroles de mon insituteur de CM2, de celles de cette prof. d’anglais qui me plafonnait à 12, des anecdotes de ce prof de français qui répétait en riant avoir envie de tuer sa belle-mère, des mots blessants de mon père quand je ne ramenais pas la note ou la récompense qu’il attendait, de cette prof de Khâgne qui me faisait sentir que je n’avais pas le bon réseau d’amis pour lui plaire et commentait mes copies avec insistance, de ce prof qui m’avait affirmé que je n’enseignerais jamais, de ce Principal qui regardait mes vêtements en se moquant alors que je dépendais de sa notation, de ce Chef d’établissement qui….etc. J’ai souffert encore plus des paroles des professeurs de mes enfants… STOP. Tous ces mots m’ont vexée, blessée, réduite… car je suis très susceptible. Et je les ai réduits à mon tour.
Donc cet ancien élève m’envoie un commentaire vindicatif à moi qui suis 1/50ème de ses enseignants, il veut que je sois la cause de tous ses malheurs et ce faisant il devient la cause des miens! Il s’ajoute à la liste de mes « échecs » car notre vie est d’abord la somme de nos échecs. Et néanmoins je réaffirme que je me suis voulue bienveillante. Je ne criais pas sur les élèves travailleurs puisque je n’avais rien à leur reprocher et mescris n’avaient qu’un but, pousser à travailler. Je n’écris pas les mots « bons élèves » car le « bon élève », « le bon professeur », « le bon parent », « le bon enfant »… ce sont des mythes dont nous incarnons une version personnelle et par conséquent imparfaite.
Par chance, il dit s’en être sorti… Moi aussi. J’ai mis parfois des années à surmonter tel ou tel jugement, tel ou tel mot méchant d’un élève… et j’ai forgé ma vie. Je lui souhaite, du fond du coeur, vraiment, d’en faire autant. Oui, je vous souhaite de réussir votre vie. Vous serez professeur à votre tour, dites-vous, alors vous aussi vous faillirez, vous aussi, dans l’esprit de certains de vos élèves. Vous allez faire l’expérience de ces malentendus, ces méprises, ces failles dans la communication, de ces échecs dont vous n’aurez connaissance que des années plus tard… Faites comme moi : relisez alors tous les autres témoignages reçus : les remerciements, les louanges, tous bien plus nombreux que les reproches et accusations. Je ne suis que 1/50ème (ou même 2/50ème parfois) et j’ai eu plus de 2000 élèves… Non, je ne suis pas la seule origine des cahots de votre passé mais si vous le croyez alors je veux bien m’excuser pour que vous puissiez me dépasser. Les Coréens présentent régulièrement des excuses et ce sont pour eux des étapes solennelles et importantes : joesonhabnida.
Soyez libéré de ce que vous avez pris pour ma malignité et qui n’en était pas dans mon esprit, allez de l’avant et dépassez moi. Réussissez là où d’après vous j’ai échoué. J’en serai vraiment heureuse.